À l’occasion d’une interview accordée à Univers Freebox, Gilles Brégant, directeur général de l’ANFR, le gendarme des ondes en France, revient sur la crise sanitaire, l’arrivée de la 5G en France, l’itinérance chez Free et l’évolution du DAS.
Quels sont les gros chantiers sur lesquels travaille en ce moment l’ANFR ?
Nous venons de terminer un grand chantier national, le réaménagement des fréquences de la TNT sur tout le territoire (2016-2019), qui a permis de passer toutes les chaînes en HD tout en ouvrant une bande supplémentaire pour le haut débit mobile (la bande 700 MHz). Nous venons d’achever, fin 2019, un cycle de quatre ans de négociations internationales pour harmoniser les futurs services sans fil entre tous les pays du monde.
En ce moment, nos principaux chantiers sont donc la transposition de ces résultats dans notre « plan d’occupation des fréquences » national, mais aussi la préparation du déploiement de la 5G : mesures d’exposition (relais, mais aussi terminaux), déplacement des services qui occupent les bandes 5G vers d’autres fréquences, coordination aux frontières.
Quelles sont d’ailleurs les répercussions du confinement concernant ces chantiers ?
Pour les nouveaux services, les travaux se poursuivent sans vraiment ralentir : qu’ils soient à l’étranger ou en France, nos correspondants sont déjà à distance de nos experts en temps normal, et nous travaillions déjà depuis longtemps avec eux par visio ou téléconférence. Simplement, désormais, plus personne ne voyage. Pour la 5G, les mesures dans les zones d’expérimentation sont plus difficiles à organiser, bien sûr. Mais le calendrier d’attribution de la bande 3,5 GHz vient d’être modifié. Donc, nous rééchelonnons nos actions en coordination avec l’Arcep, pour tenir compte de la nécessité de respecter la distanciation sociale sur le terrain.
Régulièrement dans nos colonnes, nous évoquons des mairies et des riverains s’opposant avec plus ou moins de virulence à l’installation d’une antenne-relais de téléphonie mobile. Pouvez-vous intervenir, à l’initiative de l’une des deux parties, dans ce genre d’affaires ?
L’ANFR est souvent sollicitée lors de réunions de concertation au sujet des antennes-relais. Comme nous avons plusieurs implantations en province, nous y participons chaque fois que nous le pouvons. Notre contribution est avant tout de présenter les mesures que nous réalisons et d’apporter des informations neutres et objectives. Dans ces débats, qui souvent se nouent autour des antennes, on oublie souvent l’exposition due au téléphone. Mais en limite de réception, le téléphone expose plus. Densifier le réseau par l’ajout d’antennes, c’est aussi réduire l’exposition créée par son téléphone : il faut tenir compte de tous les paramètres.
En parlant d’antennes, comment vérifiez-vous que les antennes sont bien activées ?
Les opérateurs mobiles doivent nous déclarer les dates de mises en service de leurs sites. L’ANFR dispose de services régionaux dont le travail des agents consiste notamment à faire des mesures de terrain et résoudre toutes sortes de brouillages. Ils sont les gardiens du spectre et assurent l’utilisation conforme des fréquences pour l’ensemble des utilisateurs. Régulièrement, des inspections de sites et contrôles inopinés sont réalisés pour vérifier les informations issues de nos bases.
Nous pouvons aussi, depuis peu, guider nos inspections en exploitant des informations de crowdsourcing captés par notre application mobileOpenbarres. Il faut encourager la diffusion de cette application qui permet à chacun, sur une base volontaire et parfaitement conforme au RGPD, de contribuer individuellement au bon fonctionnement du spectre.
Au 1er avril 2020, Free disposait de 15 586 sites 4G en service. Jugez-vous le rythme suffisant alors que l’itinérance avec Orange doit prendre fin 2022 ?
L’Autorité en charge de la définition et du contrôle des obligations des opérateurs en termes notamment de couverture est l’Arcep. L’ANFR contribue simplement, via son observatoire mensuel, à visualiser le déploiement des opérateurs à partir des sites qu’elle autorise chaque semaine.
Pour juger de l’effet de la fin de l’itinérance sur le réseau de Free Mobile, il faudra comparer non pas le nombre de sites, mais la couverture de Free Mobile par rapport à celle d’Orange en 2G et 3G. Mais, comme l’Arcep a été récemment saisie d’une demande de prolongation de cette itinérance jusqu’au 31 décembre 2022, c’est seulement lorsque l’Autorité aura donné sa position que l’on saura quelle échéance prendre en compte.
Quel impact a concrètement la situation actuelle sur l’activation des antennes des opérateurs ?
Il est encore trop tôt pour prédire l’impact du confinement sur l’activation des antennes des opérateurs mobiles. À court terme, cet impact sera très limité : les opérateurs maintiennent en effet des équipes opérationnelles sur le terrain et une grande partie des stations qui seront des mises en service dans un proche avenir ont d’ores et déjà reçu un accord de l’ANFR et ont été construites et équipées. En outre, après un mois de confinement, le rythme des demandes d’accords reçus a retrouvé son niveau d’avant l’état d’urgence sanitaire.
À plus long terme, tout dépendra de la capacité des opérateurs à mobiliser leurs sous-traitants pour faire construire de nouveaux pylônes, mais aussi à acquérir des équipements électroniques en quantité suffisante, car n’oublions pas que les usines qui les fabriquent peuvent aussi avoir été perturbées par la pandémie.
Toujours à propos des ondes, certaines associations comme PhoneGateAlert évoquent les risques liés aux smartphones que nous avons souvent dans nos poches et scotchés à l’oreille. Là encore, faut-il avoir des craintes ou sont-elles au contraire exagérées ?
L’ANFR est sans doute l’agence la plus en pointe en Europe sur le contrôle du DAS, et nous sommes très attentifs à l’exposition produite par les mobiles. Aujourd’hui, il n’existe pas de preuve scientifique démontrant que l’exposition aux champs électromagnétiques résultant de l’usage des téléphones mobiles présente un risque pour la santé. Mais respecter les niveaux d’exposition est une « exigence essentielle » pour les constructeurs accédant au marché européen, et nous veillons à son respect en testant près d’une centaine de téléphones chaque année.
À titre de précaution, il est par ailleurs recommandé d’adopter quelques gestes simples pour réduire son exposition liée aux téléphones mobiles, notamment l’usage du kit mains libres ou le mode haut-parleur lorsque vous téléphonez.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner aux utilisateurs intensifs de smartphones pour éviter tout risque potentiel ?
Je leur rappellerais les gestes simples évoqués tout à l’heure, ainsi que d’éviter des conversations téléphoniques trop longues. Nous étudions également, pour notre application OpenBarres, de nouvelles fonctionnalités qui, comme les applications « temps d’écran » sur les smartphones, pourront donner une meilleure perception de l’exposition produite par ses usages au quotidien.
À l’heure où la 5G doit arriver en France, certains craignent une exposition aux ondes plus importante, avec des risques sanitaires potentiellement plus élevés. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
C’est un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup actuellement à l’ANFR. Nous venons de publier un rapport sur nos mesures d’exposition dans le cadre des déploiements pilotes 5G. L’analyse de ces premiers résultats montre que le niveau d’exposition est particulièrement faible lorsque des sites 5G sont allumés et fonctionnent sans trafic. Pour voir comment ces niveaux évoluent avec du trafic, comme pour l’instant il n’y a pas encore d’abonnés au réseau 5G, nous avons réalisé des mesures avec du trafic artificiel. Les niveaux mesurés ont montré une variation importante en fonction de l’intensité des usages. Nous avons donc proposé un nouvel indicateur qui donne des valeurs représentatives du supplément d’exposition que l’on pourra attendre de la 5G. Cet indicateur sera affiné avec des données de trafic réel, lorsque les offres 5G seront commercialisées.
Pour la 5G, on s’attend à avoir un apport d’exposition supplémentaire comparable à celui qu’avait créé la 4G. Mais, statistiquement, plus de bâtiments seront interceptés par les faisceaux en 5G. Quoi qu’il en soit, le dispositif national de mesure et de surveillance des ondes, qui a assuré près de 3 400 mesures l’an passé, permettra toujours à une personne, inquiète du niveau auquel elle est exposée, de faire une demande gratuite de mesure chez elle pour connaître son exposition.
D’ailleurs, est-il possible pour les opérateurs de couvrir 100 % du territoire en 5G ?
Couvrir 100 % du territoire n’est aujourd’hui possible dans aucun pays de taille comparable à celle de la France. Les opérateurs se rapprochent de forts taux de couverture, mais en population, en couvrant les endroits où résident, travaillent ou circulent les gens. Pour la 5G, c’est à l’Arcep de traduire les demandes de couverture formulées par le gouvernement dans les futures licences des opérateurs.
Du point de vue des fréquences, il faut simplement garder à l’esprit que toutes les fréquences utilisées pour la 2G, 3G ou 4G pourront recevoir du trafic 5G. Donc, partout où l’on capte le réseau de son opérateur aujourd’hui, rien ne s’oppose à ce qu’un jour, lorsque le relais aura été mis à niveau, le logo « 5G » s’allume aussi.
Le protocole de mesure du DAS (Débit d’Absorption Spécifique) indiqué pour les smartphones est-il amené à évoluer avec l’usage des fréquences plus hautes de la 5G ?
Actuellement, la métrique du DAS s’applique pour les bandes de 700 MHz à 3 600 MHz. Elle inclut donc la 5G en bande 3,5 GHz. Mais la 5G a également vocation à être déployée sur des fréquences plus élevées, comme la bande des 26 GHz. Dans ces fréquences, que l’on appelle millimétriques, les ondes ne pénètrent quasiment plus dans le corps humain et restent localisées à proximité de la peau. Le DAS sera évalué non plus en volume, mais en surface. Le protocole sera donc adapté.
Dernièrement, l’une de vos enquêtes a révélé des perturbations causées par la box Internet d’un particulier sur le GPS. Ce genre de problème est-il exceptionnel ou avez-vous eu d’autres cas ?
Les signaux des systèmes de géolocalisation (GPS, Galileo, ..) reçus des satellites présentent des niveaux très faibles, ce qui les rend vulnérables aux brouillages. Ils peuvent provenir de parasites électromagnétiques émis par des appareils électriques de toutes sortes, allant du moteur électrique à des émetteurs radio. Dans le cas de la box internet défectueuse, sa carte électronique parasitait la bande réservée au GPS et à Galileo. Ce type de brouillage du GPS par des parasites électromagnétiques est plutôt rare, mais cela arrive parfois.
La grande majorité des problèmes de GPS traités par l’ANFR sont dus à de petits brouilleurs utilisés illégalement pour contourner la géolocalisation : soit par des professionnels qui veulent échapper à la vigilance de leur employeur, soit par des malfaiteurs pour brouiller des alarmes ou des « trackers ». Ces brouilleurs compromettent l’utilisation du GPS dans un rayon de plusieurs centaines de mètres, avec potentiellement des conséquences sur des activités critiques comme le trafic aérien. L’ANFR mène une lutte acharnée contre la prolifération de ces engins dont la possession ou l’utilisation, par ailleurs très facile à repérer pour nos agents, sont passibles de peines pénales. Plusieurs cas ont d’ailleurs été présentés à la justice.